Fin du règne d'Humbert II

La fin du dernier des Dauphins approche.
Ce Prince eut la vie courte mais extrèmement agitée. «C'était un névrosé et un sentimental, atteint de la folie des grandeurs. Par sa monomanie de la richesse, par son goût raffiné des arts et des plaisirs, par l'irréflexion de ses prodigalités, par l'instabilité et la nervosité de son humeur, c'est presque un personnage de légende. D'un caractère volage et inconstant, Humbert, pendant le cours de son règne, ne fit que rendre des ordonnances, les révoquer et les remettre en vigueur, abolir les anciennes chartes, leur en substituer de nouvelles et les rétablir. Il dissipa en présents, fêtes et en fondations religieuses, plus d'argent que ses prédécesseurs n'en avaient consumé dans leurs guerres. Désordonné dans sa dépense, il empruntait de toutes mains, aux usuriers, aux juifs, empruntant même sur gages. Il était continuellement en voyage, promenant son inconstance selon l'humeur ou le besoin du moment. On se demande comment il pouvait concilier une dévotion extérieure, parfois puérile, avec une vie dissolue, et son goût pour les baladins, histrions et musiciens dont il aimait à s'entourer dans le faste de sa Cour de Beauvoir. Aux indemnités versées pour les prêtres insultés et frappés, pour les paysans battus et estropiés, on devine les sorties tumultueuses que devaient faire, après boire, dans la campagne, les seigneurs invités par le prodigue Humbert, et dont rien ne modérait les plaisirs et les violences» (46).
Humbert II fut excommunié par l'archevêque de Vienne - Bertrand de La Chapelle - qui l'accusait de vouloir s'emparer de Romans, jusque-là sous sa juridiction.
Le pape Benoît XII l'excommunia à son tour pour ne pas lui rendre 16.000 florins qu'il lui avait prêtés.
Mais, les finances du Dauphin étaient épuisées et ses revenus ordinaires suffisaient à peine à ses dépenses. Il offrit des terres en paiement, mais le pape voulait de l'or. Avec beaucoup de peine il réunit la somme, et chargea Amblard de Beaumont de la porter à Avignon. Le Dauphin s'y rendit lui-même peu après, mais le SaintPère exigea le retour de la ville de Romans à l'archevêque de Vienne.
Sur ces entrefaites, Benoît XII mourut. Il eut pour successeur Clément VI, archevêque de Rouen. Celui-ci, plus conciliant, leva tou· tes les excommunications.
On doit à Humbert II la fondation de plusieurs maisons religieuses; des lettres signées de lui, datées de Saint-Marcellin, du 16 janvier 1342, accordent aux Frères-Prêcheurs du couvent de Grenoble, la jouissance des revenus du péage grenoblois jusqu'à l'entier achèvement de leur église et de leur dortoir.
Puis, le 23 décembre de cette même année 1342, il fonde un monastère de l'Ordre de Saint-Dominique à Montfleury, pour quatrevingt religieuses, deux autres de filles de Sainte-Claire à Grenoble et à Izeron, en l'honneur de Saint-Louis d'Anjou, dont la mémoire lui était en vénération (47). (Il avait formé le dessein d'établir ledit monastère à Saint-Lattier, tout d'abord, mais préféra Izeron finalement.)
Le 17 juin 1343, il fonda, à Beauvoir, le couvent qui lui tenait assurément le plus au cœur: celui des Carmes, prévu pour soixante religieux, ensuite celui de Saint-Marcellin, dont nous allons donner tous détails dans la suite (48).
Humbert II projette encore, en 1344, de fonder un monastère placé sous la règle de Saint-Augustin et comprenant treize religieux, qui doit être établi à Claix (c'est-à-dire Saint-Just-de-Claix); le Frère Marin de Lucques en est nommé prieur.
Indépendamment de ce que coûtèrent, au Dauphin, ces ruineuses fondations de couvents et de monastères, des actes locaux témoignent de dépenses dûes à sa générosité proverbiale, telles par exemple ces «100 livres de rente assises sur les gabelles de SaintMarcellin, aècordées à Geoffroy de Charny, chevalier, dont il avait reçu l'hommage » ... Et cette autre, du 19 janvier 1342, à Saint-Marcellin, de la «cession qu'il fit à Falque de Montchenu, de 50 livres de revenu sur le péage de la Roche-de-Glun, en paiement d'une dette de 1.000 florins qu'il avait acquittée pour le compte et après la mort de Guillaume de Poitiers, seigneur de Clérieu. » (Arch. Isère, B 4029.)

Ayant épuisé son trésor, Humbert partit pour la croisade (1345- 1347), à la tête d'une petite armée comprenant quelques centaines de prêtres et de religieux, accompagné de son épouse Marie des Baux qui, ayant toujours vécu avec lui dans une forte union, ne put se résoudre à s'en séparer, malgré les périls où la jeune femme allait s'exposer.
La mère d'Humbert - Béatrix de Hongrie - allait s'enfermer dans l'abbaye de Saint-Just-de-Claix où elle finit ses jours, en 1354.
Cette croisade fut désespérante, et quasi un échec. Marie des Baux mourut à Rhodes, à la fin de mars 1347. Dans le dernier testament du Dauphin fait à Clermont (1355), il donna 7.000 florins aux Cordeliers de Marseille pour transférer le corps de son épouse dans leur église dédiée à Saint-Louis.
Rentré en France après une absence de deux ans et après moult péripéties, Humbert II allait s'employer à négocier défmitivement le «transport» du Dauphiné au Roi de France.
Pendant ses longues absences - comme par exemple en 1345 Humbert II confiait le gouvernement et l'administration du Dauphiné à HenrI de Villars, évêque de Viviers, qui devint archevêque de Lyon. Il était établi «lieutenant général» du Dauphin (49).
Seul désormais - son fils André et sa femme étant morts Humbert ne pensa plus qu'à entrer au couvent, après avoir remis solennellement à Lyon, le 16 juillet 1349, le Dauphiné au futur roi de France (50). Il prit la robe des Dominicains ou Frères-Prêcheurs.
En décembre 1350, il quitte Beauvoir-en-Royans, abandonnant le Dauphiné pour toujours. A son passage à Romans, il fait en public un sermon contre l'indécence des femmes qui portaient des capuchons semblables à ceux des hommes ... Il arrive à Avignon, et le jour de Noël, dans l'intervalle de trois messes, le pape lui confère les trois ordres religieux, le sous-diaconat, le diaconat et la prêtrise, et immédiatement Humbert dit sa première messe.
Huit jours après, il est nommé patriarche d'Alexandrie; puis, en 1352, administrateur perpétuel de l'archevêché de Reims, devenu vacant par la mort de son titulaire, Hugues d'Arcy.
En 1355, il quitte Paris pour presser le pape Innocent VI de ratifier son changement de l'église de Reims à celle de Paris. D'une santé chancelante, il meurt lors de son passage à Clermont-Ferrand, le 22 mai 1355, à l'âge de quarante-trois ans.
C'est ainsi que finit Humbert II - à qui notre ville doit tant et qui fut inhumé dans le couvent des Dominicains de Paris, monastère dont il fut aussi le prieur.

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(45) La famille Boffin est connue depuis Romanet Boffin, «marchand de Romans ». Il fit ériger en 1517 le Calvaire de Romans et devmt consul en 1525. Son petit-fils, Phélicien II de Boffin, seigneur d'Argenson, avocat général au Parlement de Grenoble, acheta la terre de La Sôn(O en 1619 à Horace du Rivail, petit-fils d'Aymar, l'auteur du «De allobrogibus» (dom nous parlerons longuement dans la suite).
Aymar Phélicien de Boffin, descendant du marchand de Romans. né à Grenoble le 9 juin 1700, brigadier des armées du Roy, commandeur de SaintLouis, époux de Marie-Anne Mouffle de la Thuilerie. fit ériger en marquisat la terre de La Sône, vers 1732. Mort à Paris, place Vendôme, le 8 mai 1771. (Renseignements communiqués par André Doyon, historiographe de cette famille noble.)
Armoiries des de Baffin: «D'or au bœuf passant de gueules; au chef d'azur chargé de trois croix du calvaire, en potences, d'or ».
Leur devise: «Dea Regi, Patrice, pietas et fides» (A Dieu, au Roi, à la Patrie, piété et foi). (46) D'après P. Berret : «Le Dauphiné », et quelques notes manuscrites.
(47) Louis d'Anjou, oncle de Béatrix de Hongrie, entra en religion et fut mis au nombre des saints en 1316 par le pape Jean XXII. Humbert avait une grande dévotion pour son grand-oncle, qui avait été inhumé dans l'église des Cordeliers de Marseille, où il avait pris l'habit de Saint-François.
(48) Voir chapitre X-II (10), à «Maisons religieuses ».
(49) En l'absence de son seigneur, Henri de Villars fut un bon administrateur. Il fit montre d'autorité et, pour n'en citer qu'un exemple, signalons ce projet d'ordonnance comminatoire, qu'il adressa en 1346 au châtelain de Saint-Marcellin ainsi qu'à ceux du mandement, rendu contre les sires de Châteauneuf et de Vinay, qui avaient levé des troupes, bâti des châteauxforts et marchaient l'un contre l'autre. Après leur avoir rappelé les termes d'un accord précédemment imposé par Humbert II aux deux belligérants, et par lequel il leur était défendu d'élever de nouvelles maisons-fortes dans les mandements de Vinay, Vatilieu, Châteauneuf, Saint-Quentin, l'Albenc, Armieux· et Nerpol, le lieutenant général H. de Villars prescrit au bailli du Viennois et aux châtelains de Saint-Marcellin, Chevrières, Saint-Etienne, Roy· bon, Izeaux, Rives, Beaucroissant, Réaumont, Moirans, Saint-Nazaire, Beauvoir-en-Royans et Izeron, «que si dans un délai de huit jours les maisonsfortes nouvellement construites ne sont pas rasées, leur fait injonction de réunir toutes leurs forces et d'aller les démolir, de telle sorte qu'on ne puisse les reconstruire ».
(50) Charles de Normandie (1337-1380), qui devint roi sous le nom de Charles V, dit «le Sage », en 1364.

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