Romains

A regret, nous devons franchir les étapes conduisant de la préhistoire à l'époque romaine, car il serait aussi vain qu'en ces temps reculés de chercher l'existence de Saint-Marcellin chez les Allobroges ou les Meldes - une de leurs peuplades - voire même en fait chez les Romains dont Mercure fut un des dieux, bien qu'il eut des adorateurs dans notre proche voisinage : Chevrières, Chatte et également Blanieu.
Les écrits sont étonnement pauvres sur ce sujet. Toutefois, il est communément admis qu'au temps des Romains, à une époque où notre province s'appelait la Narbonnaise, Saint-Marcellin était recouvert de forêts. On conçoit mal qu'il ne fut pas à ce moment un lieu d'habitation propice à un rassemblement humain aussi rudimentaire fut-il, du moment que, placé aux alentours circonvoisins de la plaine regardant Beauvoir, il jouxte la voie de passage qu'était l'Isère en ce temps-là... Et que l'on sait qu'en l'an 61 avant J.-C., il existait une importante batellerie dans ce fleuve.
D'ailleurs, il est possible que le nom même de "Cumane" - porté par la rivière et la château de Saint-Sauveur - soit une survivance de la présence des Romans, installés sur la rive gauche du ruisseau, autrement dit sur le territoire de la commune de Saint-Vérand à la limite.
En effet, "décumane" (ou décumate) ne vient-il pas du latin "décumus" - pour "décimus" signifiant "dixième" - et "manus" qui veut dire troupe, nom donné à des terres qui appartenaient à l'Etat romain, dont les colons payaient la dîme du revenu... ?
Une porte dite "decumane" était celle d'un camp romain s'ouvrant du côté opposé à l'ennemi... Et encore, d'après une tradition que leur avaient léguée des Etrusques, nous savons que lorsqu'ils établissaient leurs centuriations ou quand ils fondaient une ville naissante, les Romains déterminaient leur position d'après un axe est-ouest - le "décumanus maximus" - observant le soleil à son lever ce jour. Cette voie decumane était l'axe majeur (7).
Quand au plateau de Joud qui domine la ville (8), la Cumane coulant à son pied justement, serait-ce que les dieux ont présidé à sa naissance, puisque son nom viendrait paraît-il de "Jovis" ? Encore faudrait-il pour en être certain, qu'on découvrît à Saint-Marcellin quelque ex-voto, quelque inscription romaine ou quelque vestige sûr : c'est parce qu'il existe en Dauphiné des "Mont Jovis" dont le nom francisé se traduit par "Monjoux" (lieux dits où s'élevait un Temple à Jupiter), que l'on a fait ce rapprochement, peut-être trop facile.
Les voies romaines sont mieux connues ("via strata", "mala strata"), qui étendaient leurs ramifications sur tous les points des environs mais, de toute évidence, ne traversaient pas l'agglomération dans sa forme actuelle, c'est-à-dire à l'endroit où elle s'est édifiée (9). Est-ce à dire que notre future cité était encore inexistante en ce temps-là ?
D'ailleurs, nous avons peu de souvenirs tangibles de l'époque romaine pour servir d'arguments à la présente étude : une monnaie de bronze à l'effigie de Constantin, une pointe d'amphore, découvertes fortuitement par un ami résidant à la "Maladière" (10), sont les seules trouvailles faites jusqu'à ce jour, qui tendent à prouver la présence romaine face au coteau de Joud, précisément sur la rive de la Cumane, mais cette présomption n'est-elle dûe qu'au hasard ?
D'autre part, Paul Berret (11) nous apprend qu'à l'époque où Rome eut conquis la Gaule, les gens d'ici s'en allèrent servir dans les armées romaines, jusqu'à faire campagne aux confins de l'empire. Puis rentrèrent au bercail nantis de leur "pécule", qui était composé de monnaies d'or de tous pays... L'historien fait mention que l'un de ces pécules, "enfoui dans la mollasse du coteau de Ronchives, fut découvert dans une vieille poterie". Il ne précise pas la date ni la source. Mais cela est troublant. D'autant plus que la route que les Romains suivaient passait par Ronchives... (12).
Existe-t-il un lien entre ces découvertes ? D'après ces éléments, il semblerait pourtant que les Romains furent présents à Saint-Marcellin, à tout le moins dans son plus proche voisinage. Faisons encore appel à la toponymie : la tradition rapporte qu'un autel à Maïa - la déesse qui fut la mère de Mercure - avait été dressé sur la berge iséroise, à l'endroit dangereux que crée l'ensablement de la Cumane, face au "Puits d'enfer". Il paraît que les bateliers invoquaient la bonne déesse avant de franchir cette passe délicate... Et son nom semble bien être parvenu jusqu'à nous en désignant la côte (ou montée) de Maillard, entre Saint-Marcellin et le pont de Beauvoir : hypothèse d'autant plus acceptable qu'à notre connaissance aucun autre souvenir historique ne permet d'expliquer cette dénomination (13).




Le mystère subsiste. Avant l'année 500 nous sommes englobés en royaume burgonde, mais rien ne nous assure que des gens de ce peuple firent leur nid ici, à Saint-Marcellin même.
Des Burgondes aux Dauphins, on compte encore par siècles. Ce passage est obscur.
Avant d'en terminer avec les temps anciens, citons encore ces lignes extraites de l'"Album du Dauphiné" (14) :

"En 1832, les restes d'un tombeau ont été découverts hameau de "Puvelin", à quelques centaines de mètres de Saint-Marcellin ; il en a été retiré deux belles urnes antiques en albâtre, des lacrimatoires et des débris de poignard" (15).

A l'instar de la majorité des historiens, ce n'est qu'au XIe siècle qu'il nous faut situer la date de la fondation de Saint-Marcellin.

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(7) Ensuite, ils traçaient le "cardo" - un axe nord-sud perpendiculaire - qui signifie le gond parce que le soleil semble tourner autour.
(8) Voir plus loin au chapitre XII, notre étude complète sur le plateau de Joud.
(9) Mentionnons comme exemple, l'une de ces voies se rapprochant le plus d'ici : celle qui, à partir de Murinais ("mura" : murailles, refuge pour les convois attaqués ou surpris par l'orage) gagnait la vallée de l'Isère, toujours en suivant le coteau, par Plan, Maisonne, Ronchives, Malatra, le château de Chatte, etc.
(10) M. Alexandre Barginet, directeur d'école honoraire, Saint-Vérand.
(11) Professeur agrégé, historien, qui fut également un conteur délicieux. Né à Paris, en 1861, mort en 1943, P. Berret habitait sa propriété, à Saint-Vérand, mais était très souvent l'hôte de notre ville.
(12) "Pour servir à l'enseignement de l'Histoire locale", imp H. Cluze, Saint-Marcellin (1925).
(13) D'après le Dr Courtieu : "Si Saint-Marcellin nous était conté", art. du Dauphiné libéré" (janvier 1960).
(14) Edité par Prudhomme (1835) et par les "Editions des 4 Seigneurs" (1967), Grenoble.
(15) Art. sur Saint-Marcellin, p. 130. En 1837 - c'est nous qui précisons - ces objets étaient encore déposés chez le propriétaire qui s'appelait Penet (trisaïeul de Mesdemoiselles Benjamin) ; de nos jours, la maison est habitée par les familles Louis Germain-Dussert.

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