Humbert II, véritable créateur de Saint-Marcellin

Nous allons aborder le XIVe siècle.
Jusqu'à wésent, bien que les dauphins des «trois races» qui régnèrent sur cette province se fussent montrés dans l'ensemble favorables à notre cité - en particulier Guigues VI - il est indéniable que ce fut Humbert II qui la créa vraiment, et lui donna l'élan qu'elle allait prendre dès ce moment. Car, le XIVe siècle peut être regardé pour la ville de Saint-Marcellin comme l'époque de son entier affranchissement et de sa plus grande prospérité.
Bien sûr, de par sa situation privilégiée et bien avant l'avénement d'Humbert II, notre ville avait bénéficié de la protection bienveillante de ses prédécesseurs, surtout lorsque l'anarchie féodale portait le trouble dans la campagne; les malheureux vilains désertaient le sol natal trop souvent ensanglanté par les bandits à blasons, pour venir se placer sous la protection de leur seigneur, à Saint-Marcellin.
Mais Humbert II fit mieux encore. Accordons-lui droit de cité à part entière pour l'intérêt qu'il a porté à notre ville et voyons son ascendance afin de le fixer ;
La dauphine Anne a fini religieuse chartreusine dans le couvent de Sallettes, près de Crémieu, où elle mourut en 1296. En 1307, Humbert l'r, baron de la Tour-du-Pin et de Coligny, son époux, qui avait pris l'habit des Chartreux est mort pareillement au Val SainteMarie (chartreuse de Bouvante). Son fils Jean II lui succède et reçoit les hommages de ses vassaux aux funérailles de son père. Il épousa Béatrix de Hongrie, fille de Charles Martel roi de Hongrie et, par ce mariage, devint beau-père de Louis X le Hutin, roi de France, et de Robert de Sicile, roi de Naples.
Jean II eut deux enfants; Guigues VIII qui lui succéda et Humbert, plus tard Humbert II.
Jean II mourut à Pont-de-Sorgues, près d'Avignon le 5 mars 1319, où il était allé visiter le pape Jean XXII. A l'âge de huit ans, son fils aîné Guigues VIII lui succéda. Mais, à sa mort, Jean II laissait la tutelle de ses enfants à son frère Henri-Dauphin, évêque élu de Metz, à qui il confia la régence de ses Etats jusqu'à ce que le jeune Guigues - plus tard Guigues VIII - son héritier, eut atteint l'âge de dix-huit ans.
Henri de Metz régna donc effectivement sur le Dauphiné, de 1319 à 1326. C'est lui qui incita son neveu, Guigues VIII, à fonder une chapelle dédiée à la Sainte-Vierge et un hôpital à La Sône, sur le rivage occidental de l'Isère, dont la consécration fut faite le 1er novembre 1333.
Le 16 août 1324, Henri de Metz était à Saint-Marcellin, et des «lettres de provision de la charge de châtelain de Peyrins furent données par lui - datées de ce jour-là en notre ville - à Robert Waignard, seigneur de Montwaignard, son conseiller, avec promesse de ne pas lui retirer cette charge, tant que le régent ne lui aura pas payé diverses sommes qu'il lui devait ». (Arch. Isère, B.3286). Cela dit simplement, qui prouve son passage.
Guigues VIII va régner à son tour. Il épouse, à Corbeil, Isabelle de France, fille de Philippe V le Long, et petite-fille de Philippe le Bel. Aussitôt après la célébration du mariage, les deux époux s'installèrent au château de Beauvoir-en-Royans, résidence favorite des six derniers Dauphins, comme l'on sait.
Guigues VIII mourut au siège de La Perrière-en-Chartreuse (6), près Voreppe, le 26 août 1333, au cours de la guerre que lui livraient les Savoyards (7), en laissant à son frère cadet, dont Humbert, un jeune homme juste majeur, le soin de lui succéder dans sa charge. En l'absence du nouveau dauphin, la sécurité du Dauphiné était assurée par Béatrix de Viennois, fille de Humbert 1er•.

Et voici Humbert II maître du Dauphiné, de l'an 1333 à 1349. Prince jeune et prodigue, il avait vécu sans souci jusque là dans le faste et la magnificence, soit en Hongrie, soit à la cour de Naples, où régnait son oncle Robert de Sicile.
C'est à Naples qu'Humbert II aprend la mort du dauphin Guigues VIII, son frère.
Le 9 octobre 1333, Béatrix de Viennois, fille d'Humbert 1er, ordonne à tous les juifs de se rendre à Saint-Marcellin, à l'effet d'emprunter d'eux les sommes nécessaires pour le retour du dauphin, d'Italie. Car à cette époque il y avait à Saint-Marcellin, à La Sône, voire à Saint-Nazaire, etc., des banquiers juifs ou lombards, qui prêtaient ouvertement à usure et sur gages (8). Les dauphins leur avaient accordé la liberté du commerce, moyennant un tribut annuel par forme de capitation, pour être tolérés et protégés en cas de besoin. Dans les lieux où se trouvaient des péages, on leur faisait payer un droit pour leur personne comme pour les animaux. Ce droit variait selon les endroits. Il était couramment de 4 deniers pour un juif passant à pied et de 8 lorsqu'il passait à cheval. Et il était doublé pour les femmes enceintes ...
Humbert s'embarqua pour la France, le 15 octobre 1333. Quel· ques semaines auparavant - le 7 septembre - il avait eu un fils qu'il avait prénommé André. Sa jeune femme était Marie des Baux (9), fille de Bertrand des Baux, prince d'Orange, et de Béatrix d'Anjou, la sœur de Robert, roi de Naples. Le mariage avait été célébré en cette dernière ville en juillet 1332.
Humbert arriva à Beauvoir au commencement de décembre, accompagné de sa femme, de leur fils, ainsi que de tous les gens de leur maison. Après s'être remis des fatigues d'un si long voyage, il se rendit à Saint-Marcellin, puis à Grenoble (janvier 1334), pour faire connaissance avec son nouveau fief.
La puissance des Dauphins avait considérablement grandi par des héritages, des mariages et des conquêtes. Humbert possédait tout le Dauphiné, le Bugey, la Bresse, le Faucigny et plusieurs fiefs en Normandie; de plus, des liens étroits unissaient les Dauphins aux Rois de France; Philippe le Bel avait acheté leur vassalité moyennant deux mille livres de rente. Les mariages de Jean II et de Guigues VIII (voir ci-dessus), avaient encore resserré ces liens. (On vit ce dernier dauphin guerroyer près de Philippe VI de Valois à la bataille de Cassel.) Humbert II, quant à lui, refusa de se déclarer contre la France pendant la guerre de Cent ans.

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(6) La Perrière était un château dans la paroisse de Saint-Gellins-dC'Raz (Saint-Julien-de-Raz), à trois lieues de Grenoble, devant lequel Guigues dauphin, qui l'avait assiégé, fut blessé par le comte de Savoie d'un trait d'arbalète qu'on appelait garrot, dont il mourut, dans sa tente, le 26 août 1333. (Extrait du Dictionnaire manuscrit du Dauphiné).

(7) C'est le mariage de la dauphine Anne avec Humbert 1er de la Tourdu-Pin qui, en réunissant sous une seule autorité les deux plus grandes maisons du pays, avait inquiété les voisins menacés d'un excès de puissance. Robert de Bourgogne et le duc de Savoie s'allièrent contre Humbert 1er• Mais Humbert 1er imposa un traité à la Savoie. Plus tard, Guigues VIII remporta en 1325 sur les Savoyards l'éclatante victoire de Varey, dans la plaine de Saint-J ean-Ie- Vieux, département de l'Ain. Cette vieille haine delphinosavoyarde n'étant pas éteinte, les Savoyards ré attaquèrent et c'est cette guerre qui causa la mort de Guigues VIII.

(8) Voir à l'annexe II (présent chapitre), quelques opérations relatives à des actes établis à Saint· Marcellin par les banquiers juifs et lombards, de 1324 à 1334.

(9) La ville des Baux, à sept kilomètres de Saint-Rémy·de-Provence, (10) En 1388, on comptait déjà au moins huit notaires à Saint· Marcellin !

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