L'église de Saint-Marcellin

Notre église aurait-elle existé plus tôt qu'on ne se l'imagine habituellement, et aurait-elle été sous la dépendance première de Saint Barnard, de Romans, puisque dans le cartulaire de cet évêché, Guigues 1er (le «Vieux ») apparaît dès l'an 1042 et conseille à un prêtre de Saint-Marcellin - ce qui nous semble assez troublant - de rendre à cette abbaye une église qui en dépendait... ?
Cependant, d'après l'acte de 1083 dont il est question ci-avant, c'est à cette date que Gontard, évêque de Valence, administrateur du diocèse de Vienne, vacant, donna aux «Bénédictins de Montmajour (16) les églises de la Motte-Saint-Didier (dite aussi de la « Motteaux-Bois - ou « des Bois» - qui plus tard devint Saint-Antoine), de Sainte-Marie-de-Montagne et celle de Saint-Marcellin, avec les dîmes, prémices et toutes leurs dépendances ».
Il y joint la ville, les magasins (!), une vigne appelée « plantée» et divers pâturages.
Cette donation fut confirmée par les papes qui se succédèrent depuis Pascal II, en 1114, jusqu'à Alexandre IV, en 1258.
Un acte quasi similaire, mais rédigé un peu plus tard, fait apparaître aussi le nom de notre ville, dans l'acte que nous vous livrons ci-dessous (17) :

«Lorsque, en 1101, Guigues Didier, héritier de Jocelyn, tira de « l'abbaye de Montmajour-lès-Arles des religieux bénédictins pour « garder les reliques de Saint-Antoine et l'église construite en son « honneur à la Motte-Saint-Didier, le pape et l'archevêque de Vienne « approuvèrent la prise de possession des religieux et leur donnè« rent les églises de Saint-Marcellin et de Saint-Hilaire» (18).

N'entamons pas une querelle de «clocher» - ce qui ici serait un comble! - à propos des deux dates qui se rapprochent fort : 1083 et 1101. (Notons que Paul Berret penche pour l'an 1101.)
En quoi consistait réellement cette église de Saint-Marcellin donnée à Montmajour, et surtout, quels pouvaient en être les «revenus» à l'origine? Il est regrettable qu'aucun document ne permette de le préciser, qui donnerait ainsi une idée au moins approximative de l'importance de l'agglomération saint-marcellinoise en ce lointain passé.
Quoi qu'il en soit, c'est sous le règne des premiers dauphins (19) que notre église se bâtit.
Ont-ils été aidés par les bénédictins dont l'acte fait mention, futurs bénéficiaires de ladite église nouvelle, ou en butte aux intrigues des religieux pour la revendiquer? On ne sait trop. Probablement terminée dès 1119, elle ne ressemblait pas à celle d'aujourd'hui. Construite dans le style ogival ou gothique, elle fut détruite au début du XV' siècle, d'après une transaction intervenue entre l'abbé de Saint-Antoine et les consuls de Saint-Marcellin (20), puis remplacée par l'église actuelle beaucoup plus vaste.
Seul, le clocher a conservé son architecture primitive.
C'est le 19 mars 1119 (12e jour des calendes d'avril), que l'église de Saint-Marcellin fut consacrée par l'ancien archevêque de Vienne Gui de Bourgogne - le 64e dans l'ordre -, abbé de Saint-Barnard et coseigneur de Romans de 1088 à 1119, élu pape à Cluny le 2 février 1119 sous le nom de Calixte II, intronisé dans cette dignité suprême en son fief - la cathédrale de Vienne - le 9 février cette même année.
Nous dûmes cet honneur à l'initiative du prieur des bénédictins de la Motte-aux-Bois (Saint-Antoine), qui représentait l'abbé de Montmajour dans cette région éloignée de la maison-mère, et dont l'église de Saint-Marcellin était soumise à l'autorité directe depuis 1083 comme l'on sait.
Le Souverain Pontife passait par le Dauphiné se rendant à Rome, alors qu'il venait de Cluny. Devant consacrer le lendemain (20 mars) la « grande église des bénédictins de la Motte-aux-Bois» - dont ces religieux avaient jeté les bases depuis une quarantaine d'années le prieur avait sollicité du nouveau pape qu'il s'arrêtât à Saint-Marcellin pour la même cérémonie. Ce qui fut fait.
Même s'il ne lui en coutât pas beaucoup d'acquiescer, Calixte II honorait grandement notre petite bourgade naissante à cette époque, car c'était un événement prodigieux. On imagine tout l'éclat de la solennité : cérémonie joyeuse parce que triomphale, tout le clergé séant dans une église neuve, venu pour assister à sa consécration par le pape « en personne », et fêtant l'exaltation au souverain pontificat en même temps de celui qui portait la tiare depuis trente-huit jours seulement ... (21).
En qualité de « curé primitif », l'abbé de Saint-Antoine percevait la dîme, et devait en contre-partie assurer aux curés et vicaires des paroisses placées sous sa juridiction, les moyens nécessaires à leur subsistance, ce qu'on appelait la «portion congrue». Cette sujetion de notre paroisse à l'abbé de Saint-Antoine durera presque jusqu'à la Révolution.
Voici seulement à titre d'exemple, un accord de juin 1423, établi entre les Consuls et procureurs de la communauté de Saint-Marcellin d'une part, et l'abbé de Saint-Antoine, d'autre part, au sujet des droits de patronage à la cure de notre ville :

1°) "Les (les susmentionnés) ont convenu que ledit abbé devait payer à la communauté de Saint-Marcellin pour ledit droit 250 florins de monnaie pontificale, 12 gros de ladite monnaie pour chaque florin compté aux termes suivants: à la fête de Saint-Jean-Baptiste, 50 florins jusqu'au total paiement des 250 florins."

2°) Item : " ... que l'abbé pourrait ne pas payer en cas de mort « de l'abbé pendant l'intervalle avec la nouvelle élection de l'abbé."

3°) Item : "... qu'entre l'abbé et la communauté de Saint-Mar« cellin règne une bonne paix" (22).

Une transaction de la même année (1423), nous apprend que lorsque l'ancien bâtiment - autrement dit la première église - a été détruit, les habitants en employèrent les matériaux à la reconstruction d'un nouvel édifice et surtout d'un chœur (presbyterium). Les fondations étaient déjà «rez-terre », lorsque le concours de l'abbé de Saint-Antoine, curé décimateur, fut officiellement invoqué. En vain, celui-là prétexta-t-il de la modicité de ses revenus pour refuser sa participation, et il fallut en venir à un accord selon les clauses suivantes :

- L'abbé Arthaud ou ses successeurs donneront aux consuls Lusson et Folhon 250 florins, monnaie du pape, à 12 gros l'un, payables par cinquième d'année en année pour achever le chœur.

- Moyennant cette somme, les consuls se déclarent satisfaits, et un terme de huit ans pour l'entière exécution des travaux du chœur leur est accordé.

- En cas de ruine imprévue de l'édifice, après la mort de l'abbé Arthaud, ses successeurs ne seront pas dispensés de concourir à la réédification des murailles.

En 1466, il advint que la nouvelle église réclama des réparations et des embellissements. Frère Guillaume Galbert, dit Bargena, religieux de « Monsieur Saint-Antoine» et recteur de la paroisse, s'adressa à Louis XI pour solliciter des subsides à ce sujet.
Le roi - par des lettres datées de Saint-Marcellin du 19 octobre 1455 - avait déjà accordé aux Carmes, pour la réparation de leur monastère, la moitié pendant treize ans des émoluments du «commun» (c'est-à-dire des droits qui étaient perçus à l'entrée sur certains objets de consommation) (23). Le roi y alla de ses libéralités également en faveur de l'église saint-marcellinoise et reporta sur celle-là l'aide précédemment accordée aux premiers, pour une période de vingt années, à dater du jour où le don fait aux Carmes expirerait ; ce qui allait être bientôt (24).
Guillaume Galbert, muni de ce privilège royal, fit convoquer les habitants pour obtenir sur la moitié de l'octroi le prélévement des frais par lui supportés. Mais les consuls et conseillers, que ce manque de désintéressement scandalisait, décrétèrent en substance que «en aucune façon le curé ne pourrait s'ingérer à recouvrer les deniers provenant du don royal, que leur rentrée serait effectuée par les syndics qui donneraient aussi les prix faits des travaux, mais en présence et du consentement du curé ».
Toujours au titre des «réparations », signalons - pour ceux que cela intéresse - que les travaux du clocher remontent à 1481, ainsi que ceux de la « maison de ville» ; que le 17 octobre 1670, la foudre endommagea la flèche du clocher, sans que le reste de la tour, toutefois, en souffrît.
Seules sont d'origine les pierres de sa base.
Notre clocher est magnifique, d'une élégance raffinée. Il a conservé sa pointe de pierre, ses quatre clochetons, ses machicoulis et ses abat-vent de style roman.
Au commencement du XVIe siècle, la toiture de l'église fut adjugée à Amayan, le cimetière clos (25) et l'église dallée en pierres dures de Chevrières.
On connaît aussi le prix fait d'un missel romain pour l'église paroissiale, en bonne grosse lettre de forme et en parchemin, semblable à celui des Carmes, avec enluminures d'azur et de vermillon: il fut de cinquante florins, marché conclu en l'an 1485.
Des inventaires datés de 1508 et de 1510 nous font connaître le mobilier du culte à Saint-Marcellin: trois calices dorés, un ciboire d'argent, un parement d'autel broché d'or; quatre ornements de soie rouge damassée, quatre en soie blanche, quatre de couleur jaune, etc.
Parmi les reliques se trouvaient : la tête de l'une des onze mille Vierges, un doigt de Saint-Cyprien, du bois de la vraie croix, des ossements de Sainte-Marie-Magdeleine, de Saint-Laurent et de Saint-Blaise.
Autrefois, c'était quatre chanoines réguliers de Saint-Antoine qui desservaient la paroisse ; après leur union à l'Ordre de Malte (26), la cure devint séculière et à la nomination de l'archevêque de Vienne. Toutefois, les Antonins devaient être préférés à tous autres prêtres.
En 1525, vivaient à Saint-Marcellin deux Antonins nommés Pierre Berthal, oncle et neveu: ce dernier était alors curé d'ici et l'oncle cloîtrier de notre église paroissiale, et commandeur de Crémieu également.
En 1787, les quatre chanoines réguliers, le curé y compris, disaient l'office publiquement, en vertu d'une fondation ancienne, et jouissaient chacun d'un appartement spécial. Vers cette époque, l'Ordre de Malte qui percevait la dîme, octroya un vicaire à la paroisse (27).
Ne terminons pas ce chapitre sans rappeler qu'au moyen âge, l'église était la maison commune où l'on se trouvait comme chez soi, souvent même mieux que chez soi! Aussi ne servit-elle pas toujours aux divins offices comme sa destination normale l'eut voulu, mais encore de tribunal pour régler certaines affaires, ou l'arbitrage de conflits survenant souvent entre nobles. En voici au moins deux exemples :

1°) Le 1er octobre 1314, «en l'église de Saint-Marcellin» un contrat est passé par le dauphin Jean II avec Aymar de Bressieu, par lequel il lui cède Varacieux, Châteaubourg et le château de Dionay en échange de ses droits sur ses terres stéphanoises (Regeste dauphinois, t. IV).

2°) Le 6 septembre 1322, le même personnage (Aymar de Bressieu) est arbitre médiateur d'un différend survenu au sujet d'un héritage entre les frères Henri et Hugonnet de Sassenage, arbitrage qui eut lieu « en l'église de Saint-Marcellin».
En 1789, c'est M. de Lagrée, chanoine de Malte, curé, qui était à la tête de la paroisse.
En avril 1973, on procéda à l'installation d'un paratonnerre au clocher.
Avant la restauration (relativement récente) de l'église, la façade comportait deux fenêtres placées au-dessus des portes de l'entrée.

On trouvera les inscriptions campanaires à l'annexe (voir ciaprès).

NOTA. - L'orthographe provenant des documents ou citations a été respectée. ---
(16) Dont la maison-mère (abbaye) est située à 4 kilomètres environ, au nord-est d'Arles-en-Provence.

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(17) D'après A. Lacroix: «Saint-Marcellin ».

(18) Stylus curiremajoris Viennesii, p. 103. - Collombet, «Histoire de la Sainte-église de Vienne », II, 9.

(19) DAUPHINS (1re race) : 1030 à 1192 - dite des Comtes d'Albon: _ Guigues l'r, dit « le Vieux », marié à Gothelène ; régna de 1030 à 1075. _ Guigues II, le « Gras », son fils, marié à Pétronille; régna de 1075 à 1080.
- Guigues III, le «Comte », fils du précédent, a d'abord épousé Inès de Catalogne, puis en secondes noces la «reine Mathilde» (Mahaut), fille probable de l'empereur Henri IV d'Angleterre; régna de 1080 à 1132.
- Guigues IV, dauphin, fils de Guigues le Comte, époux de Marguerite Clémence de Bourgogne, nièce du pape Calixte II; régna de 1132 à 1143; mourut à La Buissière.
- Guigues V, fils de Guigues «dauphin» ; régna de 1143 à 1162 ; mourut à Vizille.
(Béatrix d'Albon, fille de Guigues V, épousa Albéric Taillefer, fils de Raymond V, comte de Toulouse, et neveu par sa mère du roi de France Louis VII. Elle épousa en secondes noces (1184) Hugues III. duc de Bourgogne, mort en croisade à Saint-Jean d'Acre en 1192, et en troisièmes noces Hugues, baron de Coligny. Son fils, André, est la tige de la seconde race.)

(20) Cartulaire de Saint-Marcellin, fol. 43.

(21) Calixte II revint dans la région: du 13 au 17 février 1120, il séjourna à Romans où il avait convoqué une assemblée des grands et des prélats de la province. Quelques jours auparavant, il avait rédigé à Valence la bulle connue sous le nom de «Calixtine », par laquelle il soumettait l'église de Romans à l'archevêque de Vienne. Ce pape est mort en 1124. A siégé 5 ans, 10 mois et 13 jours.

(22) L'original est en mairie.

(23) Cf. chapitre X, «Maisons religieuses» (II-l'), Carmes.

(24) Cette lettre du roi Louis XI, adressée de Montils-lès-Tours, est à l'annexe ci-après. Nous l'extrayons du Cartulaire.

(25) On verra dans la suite que le champ des morts était à l'origine contigu à l'église.

(26) Ordre religieux qui venait des croisades. (27) «Almanach général », de 1787.

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