Préhistoire et protohistoire

Il est banal de dire que la nuit des Temps est "insondable", mais c'est vrai.
Quand Saint-Marcellin n'était encore qu'une "entité", avant qu'il existât même à l'état larvaire, QUELS humains - les premiers - ont-ils foulé le sol inscrit dans ses limites (1) ?
Peu de villes, en fait, connaissent avec précision l'époque de leur fondation, leurs premiers habitants n'ayant pas obligatoirement confié à la pierre ou au métal le témoignage de leurs traditions initiales. Pour nous, Saint-Marcellinois, il se peut que l'homme ait été présent ici à l'époque du bronze, puisqu'une hache de ce métal à ailerons médians a été découverte sur notre territoire (2).
En deça, c'est un mur contre lequel nous nous heurtons, pour ce qui se rapporte à notre ville seule. Malgré tout, pour comprendre la raison de l'existence plus lointaine, la position géographique et les éléments déterminants qui ont pu présider, jadis, à l'implantation en ce lieu d'un habitat - aussi larvaire et primitif qu'il fut au début, disions-nous - on peut bien faire état de sa formation géologique, cette affaire de la nature à laquelle l'homme est étranger : Saint-Marcellin s'est bâti sur une terrasse fluvio-glaciaire würmienne (3). Au cours des millénaires, la mer et les glaciers ont sculpté jolilment le coteau de Ronchives. Il n'est qu'à l'observer depuis le Champ de Mars, de l'avenue Carrier ou de Bergerandière : son profil harmonieux et ses vallonnements aux courbes reposantes, ses formes arrondies si douces au regard, témoignent du travail qu'ont pu faire les eaux. Lorsqu'elles se retirèrent ne laissant que l'Isère - ce filet comparativement dérisoire - leurs alluvions formèrent notre fertile plaine. La mollasse - grès tendre qu'on remarque sous le Mollard et qu'on retrouve quand on monte vers Chevrières par exemple - a la même origine puisque dépôt marin.
Rappelons une découverte qui a trait directement à notre cité : à l'occasion d'une prise d'eau effectuée il y a une cinquantaine d'années pour une ferme, un tronc d'arbre silicifié et fossilisé a été mis à jour au sommet du coteau de Saint-Marcellin - à Ronchives précisément - sur la propriété de M. Michel Belle, employé S.N.C.F. Signalée par hasard en 1964 à l'attention de deux éminents naturalistes grenoblois (par un collègue de M. Belle, Marcel Cellier) cette importante découverte géologique a fait l'objet d'une étude approfondie. Il s'agit là d'un bloc constituant probablement la base d'un tronc (4) dont l'état de conservation ne laisse aucun doute sur la nature ligneuse primitive. C'est la première fois qu'un tel fossile est découvert dans la molasse miocène de notre région, en l'espèce un confère (pin ou épicéa) datant de quinze à vingt millions d'années, bois flotté venu s'échouer probablement dans la vaste plainte sableuse, que les apports alluviaux des torrents descendant des Alpes déposèrent "à l'ère tertiaire au fond des eaux peu profondes de la mer périalpine" (5).
Ce curieux tronc offre l'aspect d'un "arbre de pierre". On distingue nettement dans sa coupe transversale les zones de croissance saisonnières, au nombre de cent-cinquante environ. Un fragment a été déposé au lycée nationalisé de la ville (6).
Quand la mer disparut pour dégager le sol sur lequel se bâtit plus tard Saint-Marcellin, il semble que la forêt lui succéda, à l'échelle du temps comme on se l'imagine, sur une terre vierge riche de nourriture...
Toujours d'après M. Moret, la présence de cet arbre silicifié n'a donc rien de paradoxal, si l'on songe que les conifères (genre Pinus) étaient alors fréquents dans notre région. Le climat chaud et humide du miocène n'était pas incompatible avec l'existence de ce genre de végétaux.

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(1) Il s'agit des limites de la localité définie par le plan cadastral actuel. Nous posons comme règle de nous y enfermer, sauf quand les événements extérieurs, en s'imbriquant aux faits locaux, nous obligeront à en sortir (guerres de religion, par exemple).
(2) Aimé Bocquet : "Isère préhistorique et protohistorique", GALLIA, préhistoire, tome XII, 1969. Cette hache a 13 centimètres de longueur et 50 cm de largeur.
(3) Trop d'ouvrages spécialisés traitant de la formation géologique détaillée des sols de cette région dauphinoise, nous ne nous étendrons pas plus longuement ici.
(4) Sa hauteur : 90 centimètres ; son diamètre : 50 centimètres ; son poids : 100 kilogrammes environ.
(5) M. Gignoux et L. Moret (1952) : "Géologie dauphinoise" (Paris, Masson, 2e édit.).
(6) Pour qui désire lire son étude complète, cf. "Faits nouveaux sur le miocène de la Basse-Isère, présence d'un tronc d'arbre silicifié (conifère) dans la partie supérieure de la mollasse miocène de Saint-Marcellin", par Léon Morel et Marie-Thérèse Mazen-Papier. Imp. Allier, Grenoble (1964).

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