Le "Conseil Delphinal"

Humbert II, auprès de qui notre ville était très en faveur, résolut de faire mieux encore que ses prédécesseurs pour la développer et l'enrichir. Ce «mieux» va s'appeler le Conseil delphinal. SaintMarcellin va avoir une nouvelle caste: celle des gens de lois (10).
Ainsi, par un édit du 22 février 1337 - à l'instigation du jurisconsulte Amblard de Beaumont, son protonotaire et secrétaire delphinal (11) - Humbert II établit à Saint-Marcellin ce tribunal composé de sept membres, qu'il avait créé à Beauvoir le 1 cr mars 1336 (12). Cette juridiction politique et judiciaire reçut de lui le pouvoir de juger souverainement et en dernier ressort les affaires du prince aussi bien que celles de ses vassaux: rédaction des ordonnances et application des mesures propres à assurer la conservation du domaine delphinal ; enquêtes contre les officiers du prince; procès des religieux et des pauvres, et même ceux concernant de puissants personnages.
Le Conseil delphinal juge enfin en second appel, des sentences du juge-mage des appellations. Deux vassaux en litige peuvent aussi le choisir comme Cour arbitrale. Il a même des attributions financières, telles par exemple l'examen des comptes des officiers delphinaux, etc.
Ce tribunal, qui se substituait aux juridictions rivales des seigneurs - qui jusque-là n'avaient guère ménagé les intérêts du peuple - comprenait outre des notables, des membres de la noblesse et du clergé. Composé d'un président, chancelier du Dauphiné (13). d'un procureur fiscal et de six conseillers - dont deux légistes et quatre hommes d'armes - il réunissait comme on voit les attributions à la fois d'un Conseil d'Etat, d'une Chambre des Comptes et d'un Parlement.
Voici quelle fut la composition du premier Conseil delphinal ayant siégé à Saint-Marcellin. Etaient présents à cette assemblée:
Guillaume Mitte, abbé de Saint-Antoine-en-Viennois ;
Frère Humbert de La Balme (ou Baume), commandeur de SaintPaul-Iès-Romans ;
Nicolas Constans et Bertrand Eustache, chevaliers et juriconsultes, docteurs-ès-lois ;
Pierre d'Herbeys, chevalier ;
Jacques Têtegrosse de Valerno et Jean de Saint-Vallier, docteurs-ès-Iois.
Le Conseil delphinal élut domicile dans l'immeuble du n° 1 de la rue Jean-Baillet, au-dessus de l'ex-librairie Duc (Bertrand, actuelle) (14). Tous ses membres, qu'ils fussent juges de la grande Cour, de la Cour des Comptes ou de celle des « appellations du Dauphiné» (dont nous parlerons dans la suite), notaires publics, maîtres rationaux, auditeurs des comptes ou bien procureur du Viennois, étaient tenus de résider dans la ville.
Ce Conseil était à peine nommé que le dauphin se mit en devoir de le remanier, le réduisit même, résolut de ne conserver dans l'assemblée qu'un ancien membre, et le 6 avril 1340, sa composition devenait la suivante :
Nicolas Constans, chevalier, docteur-ès-lois, chargé de la garde du sceau du Conseil, qui assurait en même temps la présidence ;
Roux ou Raoul de Comiers, chevalier; Jacques Brunier, docteur-ès-lois ;
Roux de Chevrières, docteur-ès-lois ; Raymond Falla vel, chevalier, jurisconsulte ;
Michel de Clerc de Césane, dit également Michel de Césane, jurisconsulte (15).
Finalement, par lettres du 1" août 1340, Humbert II transféra le Conseil delphinal à Grenoble - où en fait il fonctionnait déjà depuis avril de cette année-là - lequel par le bon vouloir de Louis XI devint en juin 1453 le Parlement du Dauphiné (16).
Notre ville ne se trouva pas désavantagée tout à fait, et même, en 1343, Saint-Marcellin devint le siège de la «grande Cour et judicature du Viennois et Valentinois et de plusieurs principales appellations, », le dauphin ayant estimé que la cité présentait dans ses Etats une position très centrale, et constituait dans le Bas-Viennois un lieu facilement accessible.
Mais Humbert II, qui était d'une humeur changeante, eut tôt fait de se rétracter. Après l'échange qu'il avait fait avec le pape, de Visan contre la ville de Romans, en 1344, il « voulut et ordonna que la Cour et juridiction du bailliage du Bas-Viennois séant à SaintMarcellin, se tiendrait perpétuellement en ladicte ville de Romans ( ... ) pour icelle fera mieux peuplée et abondante, et aussi pour le proffict, bien et commodité des subjetcs et ressortissans de ladicte juridiction» (17).
Or, cette fois, la nouvelle entorse à ce qui était, dû au tempérament instable du dauphin, lésait vraiment la ville de Saint-Marcellin, qui ne conservait guère que le «juge du Viennois », en l'occurrence. Les habitants se soulevèrent contre Humbert, outrés de 1'abus de pouvoir qu'il exerçait envers ses magistrats. Le prince leur infligea pour cette rébellion, par lettres patentes datées de Romans, du 10 avril 1345, une amende de 300 florins d'or delphinaux, qu'ils durent lui payer en signe de soumission.
Les démêlés entre nos gens et leur seigneur n'étaient pas achevés pour autant, puisqu'une lettre du 6 novembre 1347, datée de SaintMarcellin, fait encore état d'une transaction entre le dauphin Hum· bert II et les habitants de notre cité, par laquelle ces derniers s'engagent à payer au Dauphin 100 florins d'or, « à condition qu'il laisse dans leur ville le siège de la judicature du Viennois et Valentinois, et qu'il confirme leurs franchises» (Arch. Isère, B 3286).
Cette «Cour des Juges» subsistera à Saint-Marcellin jusqu'au début du XV, siècle, époque à laquelle notre ville devint l'un des trois sièges du bailliage dit «de Viennois ».
Avant de terminer, notons que le «Conseil delphinal» fut appelé à siéger pour un temps en notre ville, chassé de Grenoble par la peste, en 1420. (Voir à l'annexe II : Un arrêt du Conseil delphinal prononcé à l'encontre d'un Saint-Marcellinois, en 1385, ainsi qu'un autre promulgué à Saint-Marcellin pendant l'épidémie de peste.)

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(11) Amblard de Beaumont. à qui Humbert II fit le don. en 1334, de sa terre de Montfort et de Crolles, avait épousé Marguerite de Sassenage. Devenue veuve, celle-ci devint la maîtresse de Louis II (futur Louis XI encore « dauphin ») qui lui donna deux filles: l'une, Jeanne, qu'il maria à Louis, bastard de Bourbon, à qui il avait donné en 1465 la riche châtellenie de Moras-en-Valloire; l'autre, Marie, qu'Aymar de Poitiers, seigneur de SaintVallier, épousa à Chartres en juin 1467, en présence du «père », autrement dit Louis XI... (D'après N. Chorier, ouv. cité, tome II).

(12) A Beauvoir, cette institution appelée « Grand Conseil ». corps à la fois judiciaire et politique, comprenait à l'origine quatorze membres; neuf chevaliers et trois juristes devaient habiter continuellement l'hôtel de la Dauphine, l'épouse d'Humbert II demeurant presque tout le temps à Beauvoir.

(13) Le Conseil delphinal, dans les premiers temps, n'eut pas de président désigné ou en titre: un des conseillers avait la présidence.

(14) Voir à I) du présent chapitre.

(15) D'après 1'« Inventaire sommaire des archives départementales ». tome II, p. 18, par Pilot de Thorey et Prudhomme. Grenoble (1884).

(16) A Grenoble, le premier palais de justice fut d'abord construit dans 18. «rue des Clercs ». Ce ne fut qu'en 1453 que le dauphin fit bâtir le nouveau, sur le frontispice duquel il fit placer sa statue pédestre, celle de l'empereur Charlemagne et la statue de la justice au milieu. (Manuscrit de l'avocat Marbot.)

(17) Cette révélation d'après un arrêt du Conseil privé du roi Fran· çois le, du 17 décembre 1538.

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